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Une chemise française à 95 %

Comment connaître la part économique de votre chemise ? Peut-on dire que c’est une chemise française ? Tel est l’objet de cet article. Entre label, réglementation et étude comptable – quelques éléments d’explication et de calcul.

Publié le

par Guillaume Recorbet

Introduction

La société d’aujourd’hui et sa compétitivité sans fin nous invite à nous méfier. La confiance se perd, et vous êtes à la recherche d’informations de confiance. En ce sens, la part française de ce que vous achetez est une information importante.

Certaines marques n’hésitent pas à recourir au “French washing”, ou tout simplement à omettre de vous partager certaines informations. Chemise française ? Marque française ? Design français ? Ou aussi production française ?

De mon côté, il m’est évident de vous partager de l’information pour que vous puissiez vous y repérer. Mais pour vous, cela nécessite du temps, et aussi de renouer avec la confiance. Puis-je vous dire que c’est une chemise française ?

Heureusement, des labels ont été créés depuis une dizaine d’années afin de vous sécuriser dans votre achat. Ils ne sont pas parfaits certes, en revanche ils ont le mérite d’exister.
Quels labels sont disponibles ? Que veulent-ils dire ? Quel autre moyen de vous présenter la part française dans l’achat que vous faites ?

Quelques explications.

Les labels et indicateurs

1. Mais qu’est-ce qu’un label ou un indicateur ?

Des labels et des indicateurs sont créés pour informer le consommateur. AOP, Fabriqué en France, AB Bio, Nutriscore … Vous en voyez régulièrement lors de vos achats, que ce soit pour de la nourriture, des vêtements, des véhicules, des ampoules.

L’objectif d’un label ou d’un indicateur est de vous sécuriser dans votre acte d’achat en définissant un cahier des charges contraignant l’utilisation de ce label/indicateur par un produit.
En résumé, si je vous dis que c’est une chemise française, comment pouvez-vous me croire ?

Certains sont définis par l’Etat (ou l’Europe), d’autres sont définis par des organismes indépendants (des associations de consommateur par exemple), certains sont proposés par les acteurs de la distribution.

Concrètement, vous savez vous y repérer ? Si je vous parle de nutriscore ou étiquette énergie – savez-vous quel est le cahier des charges ?

2. L’exemple d’un indicateur : l’étiquette énergie

L’utilisation d’un label ou d’un indicateur pour que vous puissiez vous y repérer nécessite de faire des choix. Des choix de la part de la marque, ainsi que des choix de la part de l’organisme à la source du label ou de l’indicateur.
Les composantes pour choisir un produit sont tellement nombreuses qu’un label ou un indicateur va faire ce travail-là à votre place.

Par exemple, un indicateur que vous croisez régulièrement dans les grandes surfaces : l’étiquette énergie que vous trouvez sur votre électroménager. Censée vous guider dans la consommation de votre futur lave-linge, l’étiquette énergie est calculée sur la base de plusieurs informations :

  • Consommation électrique ;
  • Consommation d’eau ;
  • Efficacité ;
  • Emission de bruits, …

Lors de votre achat, vous pouvez vous référer à l’indicateur principal qui se résume en une lettre, ou vous référer aux sous-indicateurs qui détaillent chaque point. En fonction de votre utilisation, vous serez peut-être focalisé sur le temps de lavage si vous devez faire régulièrement des machines, sur le bruit émis à l’essorage si vous habitez dans un petit appartement, sur la consommation d’eau et/ou d’énergie si vous souhaitez maîtriser la facture à l’utilisation, …

L’étiquette énergie vous résume donc de l’information. Attention donc à ne pas regarder que le résumé, autrement vous risquez de faire un choix peu judicieux pour votre utilisation. Résumer des informations, c’est faciliter la lecture tout en masquant le reste de l’information (travail de l’algorithme en amont). Il y a donc un choix qui a été fait par l’Europe – ces choix ne vous sont pas explicités lors de votre achat.

Le bénéfice global tend à pousser les marques à proposer des appareils toujours plus efficaces ainsi qu’à standardiser l’information. On peut donc dire dans notre exemple que la volonté de l’Europe est bienveillante pour le consommateur et pour la consommation en général. Cet indicateur a déjà été modifié depuis son apparition pour devenir de plus en plus drastique.

Le choix d’un label ou d’un indicateur pour une marque de vêtement est donc important. Dans le textile, il n’y a pas encore d’étiquette standardisée – les marques cherchent donc des labels pour que le consommateur puisse faire ses propres choix.

Les labels et indicateurs français

Il existe plusieurs initiatives afin de sécuriser le consommateur qu’une part économiquement signifiante de son achat alimente bel et bien un travail sur territoire français.

1. Drapeau tricolore – Suffisant pour une chemise française ?

Avertissement pour le consommateur : l’utilisation du drapeau bleu-blanc-rouge n’est pas normé par les Douanes ou par le code de la consommation.
De même, les marques ou intitulés “Maison française”, “Designé en France” ou autre exemple ne sont pas restreints par la loi. 

Il vous faudra donc fouiller plus en profondeur !

2. Fabriqué en France

Le “Made in France” ou “Fabriqué en France” est normé par la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects (DGDDI) [1]. Il s’agit donc d’une réglementation qui vise à définir un cadre.

Dans le textile, l’utilisation de ce terme est soumis à trois conditions :

  • La dernière étape substantielle est réalisée en France – pour le textile c’est la confection ;
  • 45 % de la valeur économique du produit doit être française ;
  • Des critères subsidiaires : l’ouvraison doit être réalisée dans une entreprise équipée à cet effet et doit aboutir à la fabrication d’un produit nouveau (i.e. changer le tissu en chemise).

Il s’agit donc d’éviter les mauvaises intentions qui viseraient uniquement les 45 % de valeur économique française et non la dernière transformation substantielle en France.

Par exemple, il est donc interdit d’apposer la mention “Fabriqué en France” s’il s’agit simplement d’un changement d’emballage, d’une division ou d’un assemblage de colis, de la pose d’une étiquette ou d’une broderie, …

L’apposition de la mention “Fabriqué en France” peut être réalisée sans validation préalable par la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects. En revanche, elle pourra être contrôlée et devra être justifiée sur leur demande.

Dans notre cas de figure, notre chemise est donc bien une chemise Made in France.

3. Origine France Garantie

“Origine France Garantie” est un label émis par l’association Pro France. Ce label existe depuis 2010 et vise à mettre en avant les entreprises qui cherchent à défendre et à valoriser les produits de fabrication française.
Couvrant différents secteurs, ce label vise à :

  • Délivrer au consommateur une information fiable et sincère sur l’origine et la fabrication des produits ;
  • Favoriser la compétitivité des entreprises produisant en France en leur proposant une démarche professionnelle, structurée et crédible pour leur permettre de démontrer leurs vertus sur le marché intérieur comme à l’export.

Ce label est délivré par un organisme indépendant et externe. Cette étude représente un coût pour l’entreprise qui en fait la demande. On parle de quelques milliers d’euros en fonction du nombre de gammes produits concernées.

Ce label est délivré selon deux critère :

  • Au moins 50 % du Prix de Revient Unitaire du produit est acquis en France ;
  • Le lieu où le produit prend ses caractéristiques essentielles est situé en France.

L’analyse est donc basée sur le Prix de Revient Unitaire et non le prix de vente final. Ce prix de revient considère donc :

  • Les coûts directs et proportionnels à la fabrication du produit : électricité, matière première, main d’œuvre, …
  • Les coûts indirects liés au développement du produit.

Sont donc systématiquement exclus :

  • Les coûts de livraison, stockage, …
  • Les coûts de communication, marketing, …
  • Les frais de siège ;
  • Les redevances de marques ;

Le PRU se focalise donc sur l’ensemble des coûts qui ont permis au produit d’exister physiquement.

Ce label est donc l’échelon suivant pour prouver par un organisme certifié l’origine du produit.
En ce qui me concerne, je passerai cette étape quand j’aurai les revenus qui me permettront d’assumer le coût d’une telle certification. En attendant, je me cantonnerai à vous dire que c’est une chemise Made in France.

Quelle part économique reste en France avec une lecture comptable ?

1. Coût de revient ou prix de vente – quèsaco ?

Le coût de revient est la somme des coûts directs qui permettent la production de votre chemise. Je vous présente un résumé dans le cas de ma chemise française.

Le prix de vente est donc la somme du coût de revient, de la marge de l’entreprise et de la TVA.

Pour finir, la marge permet de payer :

  • Les charges externes indirectes :
    • Le loyer du local ;
    • Les honoraires d’expert comptable, d’avocat ;
    • L’énergie électrique ;
    • L’assurance, les frais bancaires ;
    • La réalisation du site internet, de l’image de marque, …
  • Les charges externes directes :
    • La styliste ;
    • La modéliste ;
    • Les matériaux et main d’oeuvre pour réaliser les prototypes.
  • Le salaire ;
  • Les impôts.

2. Analyse comptable du coût de revient de ma chemise française

Dans le cadre de mon entreprise, l’ensemble des charges externes sont auprès d’entreprises françaises de petite ou moyenne taille, ou de l’administration en ce qui concerne le loyer du local. Je considère donc que 100 % de la marge opérée retombe directement au niveau français (je parle bien de mes fournisseurs directs, donc de mes fournisseurs de Rang 1).

Au même titre, la TVA ponctionnée par l’Etat Français va directement dans les caisses de l’Etat.

Pour ce qui est du Coût de revient, le calcul est un peu plus complexe.
Le Compte de Résultat de mes fournisseurs de Rang 1 est disponible sur internet [2]. En ouvrant les différents comptes de résultat, j’obtiens donc la Marge Brute de chacun des fournisseurs, mais aussi la Valeur Ajoutée de chacune d’entre elles [3].

2.1 Explications comptables

Le fonctionnement d’une entreprise par le prisme du Compte de Résultat peut être vue simplement :

  1. L’entreprise achète des matières premières (i.e. pour signée Clovis : du tissu, des boutons, …) qu’elle transforme ;
  2. Elle revend le fruit de ce travail à un prix supérieur qui lui permet de couvrir l’ensemble de ses charges, salaires et impôts.

La Marge Brute représente le résultat des ventes de l’entreprise dont on déduit le coût des Matières Premières. La différence entre les deux s’exprime en Euro. Les financiers l’expriment aussi en pourcentage, ce qui permet de connaître la valeur ainsi créée par l’entreprise.

Marge Brute = Somme des Ventes – Coût des Matières Premières

Poussons l’analyse un cran plus loin.
La Marge Brute créée par une entreprise se réalise par deux moyens :

  • Par l’utilisation de compétences et outils externes : ce sont des fournisseurs ;
  • Par l’utilisation de compétences et outils internes à l’entreprise.

Lorsque l’on observe l’ensemble des compétences et outils internes à l’entreprise, et que l’on laisse volontairement de côté les compétences et outils des fournisseurs, on parle de Valeur Ajoutée.

Chiffre d’Affaires1 000 k€100 %
– Matières Premières– 300 k€– 30 %
Marge Brute= 700 k€= 70 %
– Charges Externes– 200 k€– 20 %
Valeur Ajoutée= 500 k€= 50%

Vu simplement, la Valeur Ajoutée représente l’ensemble des coûts :

  • De salariat ;
  • Des machines utilisées dont l’entreprise est propriétaire ;
  • Des locaux utilisés dont l’entreprise est propriétaire ;
  • Des impôts.

Restent alors les bénéfices.

2.2 Quelle part du prix de la chemise retombe dans l’économie française ?

C’est la question de cette étude.

Si l’on considère que la Valeur Ajoutée des fournisseurs de Rang 1 est à 100% française, et en utilisant la clef de répartition de mes fournisseurs au prorata du coût de revient, on peut donc affirmer que 85 % du prix que vous réglerez lors de l’achat de votre chemise est réparti sur le territoire français.

Si l’on part de l’hypothèse que 50 % des charges externes sont consommées en France (consommation d’énergie ou d’eau, honoraires d’expert comptable, loyers de locaux, personnel d’entretien des locaux, …), alors on grimpe à 90 % du prix de votre chemise est français.

Si j’extrapole et que je pars de l’hypothèse que 100 % des charges externes sont consommées en France (des PME vont-elles utiliser des fournisseurs internationaux qui sont difficilement accessibles ?) et que les Matières Premières sont étrangères à 100%, alors je peux dire que 95 % du prix de votre chemise est français.

Le conseil signé Clovis :
Les labels sont des outils permettant aux marques de prouver leur appartenance à une économie locale.
A travers les deux moyens de prouver le recours à une Industrie française (Fabriqué en France et Origine France garantie), vous comprenez pourquoi mes chemises sont “Fabriquées en France” mais pas encore estampillées “Origine France garantie”.
Une lecture comptable nous permet selon 3 hypothèses d’affirmer que le prix que vous payez retombe à 85 %, 90 % voire 95 % dans le flux économique français.
La chemise signée Clovis est donc une chemise française !

[1] : Lien vers le site de la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects
[2] : je suis parti des derniers Compte de Résultat accessibles de mes fournisseurs
[3] : je ne donne pas plus de détails sur les Résultats Comptables de mes fournisseurs, par courtoisie. Ce sont des informations qui restent peu partagées sur place publique…si je veux continuer à produire ma chemise française
[4] : Structuration du coût de revient unitaire sur une base 100 (je n’inclue pas les coûts de développement)

Base 100
Confection75.5 %
Boutons2 %
Étiquettes0.5 %
Thermocollant1 %
Tissu21 %

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